Théâtre - Retour à Reims

Publié le par bmasson-blogpolitique

Retour à Reims

Mise en scène : Laurent Hatat

Avec Sylvie Debrun, Laurent Hatat

30 04 2016

Cet essai sociologique (il date de 2009) a été transformé pour la scène. Les répliques de la mère et de Didier Eribon sont les propos tenus dans l'essai. Le texte dans son intégralité a été élagué pour ne durer qu'une heure dix minutes. L'enjeu de l'adaptation était de respecter les six parties de la thématique en épurant, en utilisant le présent et pas le passé simple et en allégeant la sémantique (utilisation du mot répété au lieu de itérative, par exemple).

« Didier ERIBON — Je vins voir ma mère. Ce fut le début d’une réconciliation avec elle. Ou, plus exactement, d’une réconciliation avec moi-même, avec toute une part de moi-même que j’avais refusée, rejetée, reniée. »  

Laurent Hatat nous explique : « Deux grands thèmes surgissent de ce texte : l'école et la honte. Il essaie de poser des questions et tente d'y répondre en se prenant comme sujet d'étude. Il nous dévoile ses prises de conscience de fils d'ouvrier qui a refusé de voir sa honte envers sa famille. Cela a été nécessaire et difficile pour lui d'exposer ces sentiments qu'il a voulu cacher aux yeux de tous. Pour tous ces aspects, cela n'en fait pas un personnage positif. A-t-on envie de s'identifier à lui ? Le fils ne peut plus parler avec sa mère, même s'il la revoit toujours. Leur dialogue est toujours difficile à cause du racisme et du vote de sa famille pour le Front National. L'artiste ne peut plus parler au monde ouvrier. Il argument avec des extraits de textes de Raymond Aron et de Jean-Paul Sartre, tous deux intellectuels opposés du XXe siècle».

 

L'auteur, Didier Eribon, sociologue, pense s'être défini par son oppression sexuelle en tant qu'homosexuel et pas en tant que sujet de domination de classe, alors qu'il l'a subie aussi de plein fouet. «Je suis gay et NON fils d'ouvrier.» Il dit s'être construit en réaction aux préjugés et grâce à eux aussi.

Il nous décrit les conditions de vie de son enfance et de son adolescence.

Sa mère a connu des familles après la guerre ayant entre 14 et 20 enfants. Il a été élevé dans une famille d'ouvriers dans le Foyer Rémois, avec l'eau courante sans salle de bains. On se lavait devant l'évier à tour de rôle. Le Parti Communiste était influent dans ces cités. De gauche, il luttait contre les injustices et les conditions de vie difficiles.

Les hommes sont morts d'épuisement, à 54 ans pour le grand-père et à 62 ans pour le père qui était tyrannique et alcoolique.

Sa mère a choisi cet homme-là comme mari car elle disait «Le mariage? Celui-là ou un autre...» Elle ne voulait surtout pas être fille-mère comme sa propre mère.

On quittait l'école à 14 ans. Son père a travaillé jusqu'à ses 56 ans.

Lui, l'auteur, pour se dissocier, lisait les auteurs intellectuels quand les femmes rêvaient grâce aux romans feuilletons tout en élevant les enfants ou quand les hommes organisaient des parties de pêche.

Sa mère ne se laissait pas faire et usait de violences pour se faire respecter. Son père a eu deux côtes fêlées quand elle lui a jeté, un jour, le mixer à la tête.

« Sartre, c'est cru » avait dit un jour sa mère. Elle répétait les propos bourgeois qu'elle avait entendus dans la famille où elle faisait des ménages pour permettre à son fils de poursuivre ses études.

L'entrée au lycée a été l'année de la rupture. La musique y a contribué aussi avec l'écoute des Rolling Stones et d'autres groupes avant-gardistes. Il portait des Clarks à cette époque de sa vie. Il a subi les quolibets se moquant de son homosexualité.

Puis, un jour, la honte s'est transformée en orgueil, selon Genêt. Les insultes se transmuent en autre chose, « les crachats en roses, les attaques verbales en une guirlande de fleurs ».

Lui, l'auteur, a développé une haine pour les rapports hiérarchiques de pouvoir.

L'écart entre les dominants et les dominés est toujours le même. La relégation se fait plus tard. Pour lui, le vote pour le Front National permet à la classe ouvrière de se revaloriser en dévalorisant les autres, par le racisme. Comment recouvrer sa dignité quand c'est devenu impossible dans le champ politique?

Sartre pensait que les ouvriers français étaient racistes jusqu'à ce qu'une lutte collective engage la solidarité entre ses membres qui étaient unis ensuite. Dans les années 1980, la révolution a surtout été conservatrice. La gauche en prend pour son grade. Quand la gauche ne pose plus les questionnements, c'est au tour de la droite de s'en emparer. Et pourtant, le rôle de la gauche n'est-il pas d'esquisser l'avenir?

Sartre dans son Saint Genet, comédien et martyr écrivait: «L’important, c’est ce que nous faisons de ce qu’on a fait de nous.»

Un débat a eu lieu après la représentation avec les deux acteurs et ceux qui le souhaitaient et a tourné autour des questions de connaissance et d'affranchissement, des Nuits debout, de Fabrice Luchini qui défend malheureusement la théorie inverse de celle de la discrimination sociale (lui, coiffeur, a réussi dans le théâtre!), des stigmates de la pauvreté avec le travail sur les riches écrit par les sociologues Monique et Michel Pinçot Charlot, de l'accent régional et de la fierté ou non de l'entretenir, des progrès sociétaux (le mariage gay par exemple) mais pas sociaux, de la fracturation des processus de production qui relient les individus aux USA, de la conscience de classe et de son absence, des registres de langage qui ont évolué (on ne parle plus de la même façon), du diplôme qui est relégué car sans-relais ou sans-réseau, des belles phrases utilisées par nos gouvernants (vivre ensemble!) et qui nous bernent, de l'illusion que l'on peut se débrouiller seul pour trouver un statut différent.

Théâtre - Retour à Reims

« C'est un texte qui sert de relais entre une analyse et des possibilités d'actions. Si l'action est soutenue par une analyse, elle ne peut en être que plus forte et peut plus difficilement s'étioler. Une première action est de démonter les idées fausses», nous dit Sylvie Debrun.

C'est un constat sociologique, pas politique. Vous, que ferez-vous ?

Une partie du théâtre de Reims

 

« Retour à Reims (Fragments) » de Jean-Gabriel Périot : l'archive pour mémoire.

En adaptant l’essai autobiographique de Didier Eribon (publié en 2009) au fil d’un montage d’archives savamment orchestré, Jean-Gabriel Périot revient sur plusieurs décennies d’impasse pour la condition ouvrière, du temps des renoncements à celui d’une fracture politique avec la gauche historique.

(…) En voix off, Adèle Haenel conduit ce récit hanté par la sédimentation de la pauvreté à travers le temps et les générations, et les possibilités toujours plus minces de s’en détacher. Différentes thématiques se greffent alors : inégalités hommes-femmes, racisme, mépris et honte, autant de mauvaises branches nourries au même engrais, celui d’une précarité maquillée sous le fard des « trente glorieuses ».

 Cinéma 
Retour à Reims 
Le racisme dans le monde ouvrier et la gauche démissionnaire.
"L'Humanité"
03 22
 
--------------------

Publié dans Théâtre

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article