Enquête sur les CHSCT dans les Bouches du Rhône
Les CHSCT
Paul Bouffartigue, Baptiste Giraud, Jacques Bouteiller.
Chercheur au CNR
Les CHSCT et l'expertise : recours et usages.
L'usage des CHSCT est le sujet polémique de ces dernières années. Depuis leurs trente années d'existence, les moyens n'ont pas suivi ni suffi.
Maintenant, les CHSCT sont remis en cause. Le sujet est chaud. La responsabilité pénale des directions est engagée car nul ne peut plaider l'ignorance. Mais les directions ne sont pas dans l'obligation d'appliquer les recommandations.
Ils sont obligatoires dans les établissements de plus de 50 salariés.
Ils concernent la moitié des salariés français.
70% de ceux qui devraient en avoir un en ont un.
Cela fait 1/3 des salariés concernés par les CHSCT.
Ils touchent principalement les cadres et les ingénieurs, catégories touchées particulièrement à cause de l'externalisation et de la sous-traitance du travail.
Les chômeurs, les employés et les ouvriers précaires sont exclus de la problématique de la santé au travail.
Il y a entre 24 000 et 26 000 CHSCT en France et entre 2 000 et 2 200 dans les Bouches du Rhône.
On trouve la parité parmi les secrétaires des CHSCT, mais pas chez les présidents.
Majoritairement, le climat social est tendu.
Les problèmes de santé recouvrent les problèmes des accidents, des maladies, de l' important absentéisme en hausse et des risques psychotechniques.
Il y a une instabilité des membres des CHSCT.
Cela pose un problème de mémoire. Il y a une difficulté au niveau des procès-verbaux avec les mots (les maux?). L'engagement est difficile. La discrimination syndicale peut être dure (licenciement d'élus du CHSCT) ou douce (avancement, carrière).
Les salariés ont des activités de plus en plus dispersées sur le territoire, comme dans la Silicon Valley des Alpes Maritimes par exemple. Le contact est difficile. Plus les salariés son t nombreux, plus le syndicat a de l'impact.
Il y a des CHSCT où il ne se passe pas grand-chose.
On relaie les consignes de sécurité. Il y a des CHSCT où les demandes d'expertises n'aboutissent pas. La direction fait une action en justice pour l'empêcher. Il y a des CHSCT qui ont des ressources syndicales qui permettent d'en faire quelque chose. Des expertises sont faites.
Quand il y a des expertises, quel usage en est fait ?
Dans la chimie, l'énergie nucléaire, la culture du risque est partagée entre la direction et les employés. Un accord existe sur les risques durs, mais il n'y a pas d'accord sur les risques psycho-sociaux.
Les expertises revitalisent le lien entre les élus syndicaux et les salariés. Un bon diagnostique permet l'expression des salariés satisfaisant sur le moment. Mais les déceptions peuvent arriver dans un second temps quand il y a des décisions à prendre.
Lucy Goussard – Maître de conférence en sociologie à l'Université d'Evry, centre Pierre Naville.
Elle a écrit une thèse sur les risques psycho-sociaux dans une grande entreprise automobile française suite aux suicides de plusieurs de ses salariés.
Comment les élus se sont emparés de l'expertise réalisée et quels usages en ont-ils fait entre 2007 et 2011?
1 – Le contexte :
C'est un secteur automobile nationalisé en 1945/1946, puis privatisé dans les années 1990.
Le site est composé majoritairement de techniciens et d'ingénieurs. Il a été créé en 1998 avec pour objectif de rassembler les activités de conception et de création d'automobiles qui étaient dispersées dans tous les sites de production sur tout le territoire français.
On détache les ingénieurs de l'univers de la production. Ils sont 2 000 salariés entourés de 9 000 prestataires.
Le site donne l'image de la modernité, mais entre 2004 et 2007, 5 salariés ont tenté de se suicider. 4 personnes sont décédées, dont 3 sur le lieu de travail (une personne s'est jetée d'une passerelle, une autre s'est noyée et une autre s'est tuée à son domicile en écrivant une lettre dans laquelle il mettait en cause le directeur et son plan de relance en hausse du nombre de véhicules à créer). En 3 ans, 20 nouveaux modèles devaient être créés. La charge de travail qui pèse sur les salariés était en hausse.
2 - La première bataille porte sur l'expertise.
Au départ, la direction s'adresse à la presse et refuse d'établir un lien entre les risques professionnels et les suicides. Elle évoque les problèmes personnels de couple ou les problèmes psychologiques des suicidés.
Mais les sections syndicales se mettent en mouvement, et imposent en mars 2007 un cabinet non agréé par le ministère du travail. Il y a une forte médiatisation car les suicides touchent des salariés à priori protégés dans une entreprise française considérée comme une vitrine sociale du pays. La direction refuse sa part de responsabilité. Les syndicats sont embarrassés d'intervenir sur la question de la subjectivité du travail. Ils ne se sentent pas légitimes pour formuler des propositions pour organiser le travail de façon moins pathogène.
3- Le rapport est prêt en janvier 2008.
Il porte sur l'autopsie des suicidés. Il se compose d'un volet quantitatif et qualitatif (6 500 questionnaires ont été rendus).
31% des salariés sont tendus. Ils sont 10% dans la société française, soit trois fois moins que dans cette entreprise. La souffrance de la surcharge de travail est due à la mise à l'écart ou à la non reconnaissance des compétences.
Il y a une culture du sur-investissement au-delà du raisonnable. Les managers, acteurs de régulations, (DRH) manquent de moyens pour jouer un soutien social vis à vis des salariés.
4 – Les préconisations du rapport.
Mise en place d'un observatoire du stress.
Plan de communication préventif sur les risques psycho-sociaux peu connus des salariés.
Communication dans des lieux d'échanges entre les acteurs de la régulation (managers, médecine du travail et élus du personnel).
Hausse des effectifs et formation pour détecter les personnes en difficultés : médecine du travail, assistantes sociales, managers.
Réduction des facteurs psycho-sociaux : luminosité, ergonomie, régulation des charges de travail pour mieux tenir compte du profil des salariés et de leurs compétences.
5 – Après 2008, les choix de la direction.
Pour sensibiliser à la question du stress, elle préconise une approche individualiste et hygiéniste sur la santé au travail : mieux dormir, faire du sport, arrêt du tabac permettent de supporter le conditions de travail.
Elle aborde la question de l'équilibre entre le travail et la maison. Quand il y a un déséquilibre, 20 minutes plus tard, il peut y avoir passage à l'acte.
Elle met en place un numéro vert, une consultation psychiatrique, elle augmente le nombre de managers (au lieu de 1 pour 500, ce sera 1 pour 350 salariés).
Elle organise un marché de Noël et une salle de pause pour l'échange et la convivialité (des micro siestes y sont possibles).
Les horaires d'ouverture du site sont réduits :
de 7 heures à 20 heures 30 au lieu de 5 heures 30 à 22 heures 30. Mais il y a toujours du travail à domicile, avec un accès informatique pour que les salariés puissent se connecter depuis chez eux.
Les syndicats manquent de forces vives pour être présents sur tous les fronts ( risques socio-économiques, vie de l'entreprise, chômage, licenciements). L'expertise porte sur tout sauf sur l'organisation du travail. Il n'y a pas de stratégie majeure pour réorganiser le travail.
A France-Telecom, le rapport des forces n'a pas été favorable aux syndicats et à leurs élus. Ils n'ont pas pu infléchir l'organisation du travail non plus.
L'homme aliéné
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