Les artistes d'Avignon soutiennent "L'Humanité" - 3

Publié le par bmasson-blogpolitique

Soutien au journal « L’Humanité »
Avignon
Maison Jean Vilar
07 19

 

 

Marine Bachelot Nguyen lit Hélène Cixous

 

MAISOIXANTEHUIT A COMMENCÉ AVANT MAI '68 ET N'EST PAS FINI [SOUS-TITRE] PAR HELENE CIXOUS

Jeudi, 28 Mai, 1998

IL y avait une porte séculaire, sur laquelle il était écrit: jeunes gens, femmes, artistes, travailleurs captifs du travail, penseurs, fiancés de la parole, amants des libertés, vous ne passerez jamais! La Bastille tiendra, il n'y aura pas d'autre époque. Cette porte a volé en éclats sous la poussée des forces d'affirmation qui s'amassaient depuis plusieurs années et qui ont trouvé ce beau mois-là leur date de conjonction.

Nous qui étions de ce printemps, nous entendions gronder la révolte et nous murmurions. Déjà Jacques Derrida avait publié les textes du futur, déjà la "différence et la déconstruction avaient été prononcées, annoncées". Et en ranimant Artaud avec "la Parole soufflée" ('67) on aurait dit que c'était le héraut oublié et rappelé de '68 qui arpentait déjà le pavé parisien. En '66, en '67 déjà. Déjà Ariane Mnouchkine jouait "la Cuisine" au Cirque Montmartre en '67. Le théâtre, l'éternel et le futur, re-vivait et répondait à Vilar: déjà et encore le tourment de l'ouverture populaire se jouait.

Déjà Antoinette Fouque travaillait avec Lacan et Barthes et les femmes s'apprêtaient à lancer l'exigence de libération des femmes plus loin que jamais. Dispersés, séparés, inhibés dans des Universités conservatrices suffocantes Foucault, Deleuze, Lyotard, Châtelet et tant d'autres n'attendaient que la création de l'Université expérimentale de Paris-VIII pour unir leurs forces et lancer jusqu'au millénaire suivant la vigilance d'une pensée qui n'en pouvait plus d'être si ridiculement interdite.

Alors enfin en "mai" 68 les innombrables rejetons d'Artaud et de la Sage Fureur ont rejeté l'incroyable tyrannie qui régnait en France depuis des décennies. On n'a plus supporté les figures grossièrement phalliques du pouvoir, ces métaphores de la réalité oppressive si obscènes et fermée "à double tour". Voir la tour de Nanterre au sommet bétonné de laquelle le Conseil autocrate de l'université prenait toute décision comme en un Ancien Régime incontesté, non démocratique, excluant les tiers états n'incluant que les patrons-mandarins, Non! ce n'était pas tolérable. C'était voir le tuyau de cheminée de Gaulle immuable émettre son discours de pierre sans se rendre compte jamais que le temps tourne, tenant en '68 le discours sourd périmé paternaliste phallocratique, ce n'était plus tolérable. Vivre au XXe siècle comme si l'on habitait à l'époque victorienne, avoir une vie amoureuse pénalisée en tout, non, assez.

Le monde nouveau qui était réveillé dans les années '66-'68 a déferlé une fois la porte fracassée, avec ses nouveaux souffles, ses exigences, ses urgences, ses consciences, et "il continue" bien sûr. Parce que les mouvements de femmes, les révoltes des exclus, des internés, des immondes, sont encore loin d'avoir gagné leurs vitales batailles. Trente ans après on en est encore à devoir négocier âprement pour faire droit et donner lieu aux femmes. Alors, encore!

Les porte-parole apparus alors, ceux du troisième millénaire, ils "sont les mêmes aujourd'hui": les jeunes (la jeunesse n'a évidemment pas d'âge c'est un état de désir et d'espoir), les femmes, les penseurs lettrés ou non-lettrés, les inventeurs de relations humaines, en somme, tous ceux qui se reconnaissent dans "l'étrangereté" comme valeur, tous ceux qui résistent aux rejets, aux phobies, au nationalisme mental et politique, tous ceux qui luttent contre le monstre de l'Exclusion sous toutes ses formes et ses incarnations. "Tout ce qui est en cours aujourd'hui" Ä toute l'histoire de notre temps donc Ä a pris son essor à partir de cette immense ouverture. Tout ce qui a été tiré des oubliettes alors, et qui s'est retrouvé Ä sinon reconnu sauvé, légitimé Ä au moins "libre de s'exprimer".

Car ce qui n'a pas été perdu, et qui poursuit son action et ses éuvres depuis lors "c'est la Parole". Elle circule. On parle. On se fait entendre, de gré ou de force. Certes les exaspérés, les furieux, les rejetés ont souvent recours à la violence plutôt qu'à la force de la parole. Mais "il y a la parole". Les uns après les autres ceux qui n'avaient jamais parlé s'approchent d'elle et, avec la même exultation que les jeunes de '68, la font retentir: les étrangers, les clandestinisés, les sans-papiers, se lèvent et parlent. Puis les chômeurs. La Parole, on ne peut plus l'arrêter. Et quelle parole! Parfois sommaire, râpeuse. Mais si souvent superbe, poétique, étincelante.

Ah vous croyez, parce que nous étions sans toit et sans papiers que nous étions sans langue et sans cervelle!? Alors écoutez-nous. Et l'on entend de toutes parts ces voix inspirées par la souffrance et l'indignation qui s'élèvent tellement au-dessus des bancs où remuent les langues de bois. Tout le monde sait que mai '68 a fleuri les murs de trouvailles linguistiques.

Pour moi cela est l'essentiel et l'inextinguible: que le plus grand bien c'est-à-dire "la liberté d'expression libre" soit désormais accessible. Depuis que les acteurs de '68 ont bondi sur la scène politique en bousculant les faux ordres, la primauté de la gérontocratie des pères, le primat du phallus, le privilège national, on sait déjouer les leurres et les autorités usurpatrices. Le droit à penser et agir le politique ne réside pas, loin de là, dans les châteaux des partis. Les citoyens ont tous les jours leur mot à dire et à dire leur mot. Les trois cocardes des droits de l'Homme liberté-égalité-fraternité ne doivent pas nous éborgner: il n'y en a encore et toujours principalement que pour les frères, et de préférence français.

Assez, assez. Le temps des femmes ne peut plus ne pas advenir Ä on a lutté trente ans pour avancer Ä donc le temps du respect entre les sexes et entre les cultures. Les affaires "étrangères" nous regardent. L'étranger ne nous est pas étranger. Le sort de ceux qui viennent se réfugier en France comme l'ont fait nos grands-parents ou nos aïeux est notre affaire. Le sort des peuples menacés d'anéantissement par les appétits des superpuissances est notre affaire. Maisoixantehuit a ébranlé la solidité égoïste des frontières entre les sexes et entre les cultures. On avait choisi pour le dire le thème carambolant du juifallemand. Recevoir, penser l'hospitalité, ses souplesses comme ses limites, ses apories comme ses capacités d'inventer plus loin, repenser l'architecture de nos maisons mentales, repenser les sexualités différentes, la mère, l'enfant, l'âge, la parenté, la solidarité, la responsabilité, l'amour en somme, tout est en cours.

Un mouvement s'est levé comme un vent d'intelligence et il ne retombera pas que nous n'ayons déplacé des bornes, changé des mentalités, donné lieu droit et honneur à celles et ceux qui ont si longtemps encore patienté après que le verrou a sauté. Et quand je pense que l'on a honteusement raté-escamoté la commémoration de l'abolition de l'esclavage! Maisoixantehuit a encore beaucoup de travail à faire à l'avenir.

 

Olivier Ponge lit Jean Jaurès « Notre But »

 "Notre but" : Jean Jaurès (éditorial du premier numéro)

"Le nom même de ce journal, en son ampleur, marque exactement ce que notre parti se propose. C’est, en effet, à la réalisation de l’humanité que travaillent tous les socialistes. L’humanité n’existe point encore ou elle existe à peine. À l’intérieur de chaque nation, elle est compromise et comme brisée, par l’antagonisme des classes, par l’inévitable lutte de l’oligarchie capitaliste et du prolétariat. Seul le socialisme, en absorbant toutes les classes dans la propriété commune des moyens de travail, résoudra cet antagonisme et fera de chaque nation enfin réconciliée avec elles-mêmes une parcelle d’humanité.

De nations à nations, c’est un régime barbare de défiance, de ruse, de haine, de violence qui prévaut encore.

Même quand elles semblent à l’état de paix, elles portent la trace des guerres d’hier, l’inquiétude des guerres de demain : et comment donner le beau nom d’humanité à ce chaos de nations hostiles et blessées, à cet amas de lambeaux sanglants ? Le sublime effort du prolétariat international, c’est de réconcilier tous les peuples par l’universelle justice sociale. Alors vraiment, mais seulement alors, il y aura une humanité réfléchissant à son unité supérieure dans la diversité vivante des nations amies et libres. Vers ce grand but d’humanité, c’est par des moyens d’humanité aussi que va le socialisme. À mesure que se développent chez les peuples et les individus la démocratie et la raison, l’histoire est dissipée de recourir à la violence. Que le suffrage universel s’affirme et s’éclaire ; qu’une vigoureuse éducation laïque ouvre les esprits aux idées nouvelles, et développe l’habitude de la réflexion ; que le prolétariat s’organise et se groupe selon la loi toujours plus équitable et plus large ; et la grande transformation sociale qui doit libérer les hommes de la propriété oligarchique, s’accomplira sans les violences qui, il y a cent dix ans, ensanglantèrent la Révolution démocratique et bourgeoise, et dont s’affligeait, en une admirable lettre, notre grand communiste Babeuf.

Cette nécessaire évolution sociale sera d’autant plus aisée que tous les socialistes, tous les prolétaires, seront plus étroitement unis. C’est cette union, que tous ici, dans ce journal, nous voulons travailler. Je sais bien quel est aujourd’hui, dans tous les pays, l’âpreté des controverses et des polémiques contre les socialistes. Je sais quel est le conflit des méthodes et des tactiques ; et il y aurait enfantillage à prétendre couvrir ces oppositions d’une unité extérieure et factice. L’union ne peut naître de la confusion. Nous défendrons toujours ici, en toute netteté et loyauté, les méthodes d’action qui nous semblent les plus efficaces et les plus sûres. Mais nous ne voulons pas aggraver, par l’insistance des controverses et le venin des polémiques, des dissentiments qui furent sans doute inévitables, et que le temps et la force des choses résoudront certainement. Socialistes révolutionnaires et socialistes réformistes sont avant tout, pour nous, des socialistes. S’il est des groupes qui, ça et là, se laissent entraîner par passion sectaire à faire le jeu de la contre-révolution, nous les combattrons avec fermeté. Mais nous savons que dans les deux fractions socialistes, les dévouements abondent à la République, à la pensée libre, au prolétariat, à la Révolution sociale. Sous des formules diverses, dont quelques-unes nous paraissent surannées et par conséquent dangereuses, tous les socialistes servent la même cause. Et l’on verra à l’épreuve que, sans rien abandonner de nos conceptions propres, nous tâcherons ici de seconder l’effort de tous.

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Mais tout cela ne serait rien et toute notre tentative serait vaine ou même dangereuse si l’entière indépendance du journal n’était point assurée et s’il pouvait être livré, par des difficultés financières, à des influences occultes. L’indépendance du journal est entière. Les capitaux, dès maintenant souscrits, sont suffisants pour nous permettre d’attendre le développement espéré du journal. Et ils ont été souscrits sans condition aucune. Aucun groupe d’intérêts ne peut directement ou indirectement peser sur la politique de l’Humanité. De plus, nous avons inscrit dans les statuts que l’apport de travail fait par les collaborateurs du journal serait représenté par des actions appelées " actions d’apport " qui permettent à la rédaction et à la direction politique de faire équilibre dans la gestion de l’entreprise aux actions en numéraire. C’est, dans la constitution de notre journal, une garantie certaine d’indépendance. C’est à mon nom, comme directeur politique représentant la direction, que se sont inscrites ces actions d’apport. Ai-je besoin de dire que ce n’est là une spéculation ni de ma part, ni de la part de mes collaborateurs ? D’abord, les actions d’apport ne recevront une part quelconque de bénéfice que lorsque les actions représentant le capital en numéraire, celles qui ont été déjà souscrites et celles qui le seront plus tard, auront reçu un dividende de six pour cent. Mais surtout, par une lettre annexée à mon contrat de direction, je remets d’avance au conseil d’administration, composé d’hommes choisis parmi nos amis, les bénéfices éventuels qui pourraient ressortir aux actions d’apport, il devra en disposer pour développer le journal, pour améliorer la condition de tous les collaborateurs et pour contribuer à des ouvres de propagande socialiste et d’organisation ouvrière. Dans ces conditions, quand l’heure sera venue pour nous d’accroître le capital du journal, c’est en toute confiance que nous ferons un appel public à la démocratie et au prolétariat. Faire vivre un grand journal sans qu’il soit à la merci d’autre groupe d’affaires, est un problème difficile mais non pas insoluble. Tous ici, nous nous donnerons un plein effort de conscience et de travail pour mériter ce succès : que la démocratie et le prolétariat nous y aident."

L'Humanité

18 avril 1904 

Paul Rondin

 

Il est le délégué du Festival d’Avignon.

Né en 1971, Paul Rondin suit d’abord une formation littéraire pour se diriger ensuite vers l’économie et la politique des arts du spectacle. Après une mission de préfiguration du Festival d’Avignon, il en est nommé directeur délégué en septembre 2013.  Depuis 2014 il développe également à partir d’Avignon un projet de métropole diffuse culture et numérique et co-fonde la French Tech Culture.

 

« Jean Vilar et tous les autres après lui ont voulu défendre d’idée que l’exigence était populaire.

Le mensonge du nivellement par le bas qui va plaire au peuple était une insanité qu’on devait refuser. On maintient cette foi dans le désir de découvrir, dans le désir de la complexité. Il y a du plaisir à ne pas connaître. Comment imaginer que l’on puisse voir disparaître ceux qui prennent le recul suffisant pour défendre, amener aux autres ce besoin d’exigence à partager. Sans vous, journalistes, les spectateurs ne sont pas grand’chose, et nous autres non plus. »

Paul Rondin

 

Il est le délégué du Festival d’Avignon.

 

Il y a un vrai public qui « se ruine » et qui attend toute l’année pour venir au festival. Pour les 20% de personnes qui sont en dessous du salaire médian et qui compose une partie du public du festival, quel engagement ! Pour les journalistes de critique, le problème c’est qu’on a laissé glisser l’information sur la critique. En tant qu’opérateur culturel, on est tous acteurs de ce glissement. On a besoin de communiquer. Dans la presse, il y avait une règle qui encadrait les critiques. Le point de vue du journaliste était dit là. Il construisait le récit d’une certaine histoire esthétique du théâtre. Petit à petit, on a enlevé ce fameux « cadre noir ». On fait du reportage. Mais on a perdu une acuité journaliste en notre direction.

 

Paul Rondin

 

Il est le délégué du Festival d’Avignon.

 

 

Avec Olivier Py, nous avons souhaité faire le même travail qu’avec les CEMEA, avec les comités d’entreprise. Ils sont sortis des radars. Eux-mêmes sont devenus des machines à vendre du ticket. Ils ont répondu à l’écrasement médiatique qui disait qu’il valait mieux aller dans un parc d’attraction plutôt que de prendre un petit risque dans le théâtre. Le travail a commencé avec la CGT de récupérer les élus qui sont dans les Comités d’Entreprises (CE). En les faisant venir au festival, on leur montrait qu’il y avait une co-responsabilité politique. Il faut essayer d’apprendre aux ouvriers d’avoir envie de voir autre chose.

 

Stanislas Nordey lit Joseph Andras sur Pasolini

 

POÈTES DANS LA CITÉ (1/8). PIER PAOLO PASOLINI, « SOLDAT SANS SOLDE »

Lundi, 24 Décembre, 2018

 

Joseph Andras

 

Les fracas du monde font vibrer leurs vers. Pour l’Humanité, l’écrivain Joseph Andras rend corps à des poètes aux prises avec le cours des choses. Des vies intenses, ancrées dans la lutte, tenues par un idéal collectif. Aujourd’hui, entre rage et sacré, Pier Paolo Pasolini.

Voilà un corps sec et nu, assis, l’œil fixé sur l’une des pages d’un livre dont nous ignorons le titre. Un miroir à sa droite, des murs en pierres apparentes, une fenêtre donnant sur une nuit d’automne. L’auteur de cette photographie, l’une des dernières du poète en vie, a 25 ans – moitié moins que son modèle. Pasolini s’apprête à présenter la traduction de son recueil les Cendres de Gramsci à Stockholm – il a, en cette année 1975, achevé de monter Salò ou les 120 journées de Sodome, fait part de la nécessité d’intenter un procès aux autorités démocrates-chrétiennes italiennes et promu l’abolition de la télévision. Cette image est fragment d’une série en noir et blanc : Pasolini se déplace, passant du siège au lit, s’allongeant, se redressant, franc mammifère en sursis, fins muscles saillants, sexe délesté de sa honte génésiaque. Peut-être ne lit-il pas vraiment, sans doute laisse-t-il flotter son regard, offrant seulement sa solitude à l’objectif – l’ampoule trace un cercle imparfait sur la pierre ; l’ombre cerne la gueule combien creusée du cinéaste.

Ce corps – « corps de désir consumé », notait Pasolini deux décennies plus tôt – ignore qu’il sera retrouvé dans quelques jours, étendu, écorché, ravagé sur un terrain vague de l’hydrobase d’Ostie. Ce corps n’a pas encore les cheveux collés par le sang, le visage réduit en viande, le nez brisé, l’oreille gauche arrachée, le foie déchiré, les testicules tuméfiés, le cœur éclaté, des doigts coupés et dix côtes fracturées. Ce corps dévêtu, comme rendu à sa naissance, nous le regardons vivant, assuré, insolent, sans l’odieuse bâche blanche qui le couvrira bientôt, tachetée, rougie, par deux pierres maintenue sur un sol pourri.

Ses Lettres luthériennes, composées les mois précédents, sonneront sans qu’il l’ait souhaité comme un testament. Texte de « dénonciation désespérée et inutile », brûlot doctoral, sermon à la jeunesse, soufflet à son temps : la consommation, devenue fait social total, tient du désastre ultime – un totalitarisme, un nouveau fascisme, un génocide, même ; le petit peuple a disparu sous les assauts répétés du « développement » ; l’empire technologique a piétiné l’« écologie » ; le néocapitalisme a transformé ses contemporains en autant d’« automates laids et stupides, adorateurs de fétiches ». Ce « cataclysme anthropologique », a-t-il avoué la même année, il l’éprouve jusque « dans son corps ». Pasolini, l’athée épris d’un Christ non divin, le communiste rongé par le passé, le barbare soucieux de « fraternité perdue », l’impénitent provocateur persécuté, l’opposant au bien-être libéral, le contempteur du Pouvoir et de l’Argent, avait un temps songé partir vivre au Maroc ou au Soudan – les nations du tiers-monde avaient tout son amour de « terrien irréductible ».

Mais ce cliché, jamais Pasolini ne le verra. Comptant insérer cette mise en scène dans un roman en préparation, Pétrole, il a prié l’auteur des images, Dino Pedriali, de n’en rien publier. Les deux Italiens se trouvent alors dans un village du centre du pays, Chia : une tour médiévale de 40 mètres acquise par le poète cinq années auparavant. C’est ici, confie ce dernier au photographe, qu’il écrit le mieux. Pasolini lui avoue qu’il n’a « plus la force de (s) e battre ». Qu’il ne recherche pas le scandale mais la vérité. Que Pétrole n’en sera pas moins, cette fois, un véritable scandale. Que la photographie réussira là où les mots ont échoué. Pasolini indique pour seule consigne : faire comme si la pose n’en était pas une. Le lit est tiré au cordeau, le plateau de la commode vide ; la série est prise de l’extérieur, à travers l’une des fenêtres. Terreur et magie se nouent dans l’esprit du jeune Dino. « Mon destin artistique s’est arrêté tragiquement avec ces photos. Ma carrière était finie. (…) Son nu était un cri de désespoir. C’est pour cela que son amie, la comédienne Laura Betti, voulait que je brûle mes photos », racontera-t-il en 2013.

La Suède, puis Paris ; Pasolini rentrera à Rome le 31 octobre et sera massacré dans la nuit du 1er au 2 novembre après avoir donné un entretien quelques heures plus tôt. Les humains ne sont plus que des machines, y répétera-t-il. Nous sommes tous en danger. Projetés dans « l’arène du tout avoir à tout prix ». Risquant fort de finir noyés. À la dernière question, il répondra au journaliste : « Tout le monde sait que mes expériences, je les paie personnellement. » Il promettra d’approfondir l’échange, par écrit, et de le remettre au matin.

Pour l’heure, Pasolini se rhabille dans sa vieille tour. Il ordonne à son cadet de se taire et le met en garde contre les ennemis, nombreux, qu’ils ne manqueront pas de se faire. Le photographe se souviendra : « On se quitte comme ça. »

Mercredi : Bob Kaufman,  « nos cœurs assoiffés »

Par Joseph Andras

Stanislas Nordey

Que nous dit encore Pasolini ?

C’est le spectre infini de son regard. Il est poète. Il est devenu cinéaste. Il a écrit du théâtre. Il a écrit des chroniques dans les journaux. Il a touché à la linguistique. Il a exploré partout,  son monde, et une époque. Il l’a toujours fait en prenant des risques.

Stanislas Nordey

Que nous dit encore Pasolini ?

 

Pasolini défend les CRS car en 1968, il dit qu’ils sont des prolétaires et pas les étudiants.

 

Jean-Pierre Léonardini parle de Petrolio (Pétrole) de Pasolini

Gallimard a publié ce roman en français. Il est extrêmement bouleversant à tous égards. D’abord pour la liberté de l’amour du corps d’homme, et pour la violence du constat politique. C’est une chose rarissime et je comprends que Petrolio fasse scandale. J’en conseille la lecture pour savoir l’homme d’excès contrôlé qu’était Pasolini. Et l’homme entier dans ses passions violentes, à la fois charnelles et politiques.

Stanislas Nordey

Que nous dit encore Pasolini ?

 

Il a écrit six grandes pièces. J’en ai monté cinq. Il en reste une à faire que je vais faire bientôt. C’est un « scoop ».

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Publié dans Politique

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