Jose Manrubia - Exposition Luces- Arles
Textes de Jacques Durand.
Texte de Jacques Durand.
L’un l’autre.
Le taureau, c’est l’autre.
L’autre, le même, mais pas l’identique.
L’espagnol le martèle dans une anagramme saisissante : el toro, el otro. Otro toro.
« Seis, Otro seis ! » « A l’autre, il faut parler ! ».
« Hablale al toro ! » « Parle-lui au taureau ! ».
Les vieux péons cassés en deux derrière les barrières le confirment lorsqu’ils conseillent à leur maestro de guider son adversaire à la voix : l’animalité du toro de combat est contaminée par l’humain, c’est-à-dire par l’autre. La preuve ? Il faut lui adresser la parole pour le guider, le convaincre, l’encourager à attaquer, l’éclairer dans sa solitude, son désarroi et sa myopie.
Et l’autre, le toro, qu’est-ce qu’il dit ? Rien, sauf que ce rien, tout le monde l’entend et certains l’écoutent.
Texte de Jacques Durand.
Mexico city blues.
Le 12 janvier 2003 à Mexico le torero mexicain David Silveti fait son retour à la corrida après 43 coups de corne, un genou en carton pâte et une lésion cérébrale. Au moindre choc, il est menacé de paralysie. Il s’en fout. Dans une arène aux trois quarts vide, sous le vent et une petite pluie froide, il torée son second taureau comme dans un rêve, et au cours d’une faena que les commentateurs qualifieront de « miraculeuse » parce qu’il n’y avait pas d’autres mots pour dire la stupéfaction.
Sileti souffre d’une dépression nerveuse mais ce jour-là il est comme sur un nuage et il pleure d’émotion en toréant. Le nom de son toro ? Mar de nubes. « Mer de nuages ». Onze mois plus tard exactement, dans sa chambre d’enfant, les nuages sont noirs, la mer est sombre et David Silveti se tire un coup de revolver dans la tête.
Texte de Jacques Durand.
Ojos.
Les toreros regardent dans le regard du toro. Ils tentent d’y lire leur très proche avenir. Ils y voient de la noblesse, de la bienveillance, les présages d’un succès, ou ils y apprennent la dureté, la malice, la méchanceté, la promesse d’un enfer. En 80 à Bilbao Antonio Chacon torée un toro de Victorio Martin. Il le banderille, puis en début de la faena, l’amène au centre de la piste. Il se recule pour le citer de loin. Une banderille se décroche et se plante toute droite sur le sable gris de la piste. Le toro, immobile, regarde Chacon en hochant la tête de haut en bas comme, raconte Chacon, « s’il avait été un être humain ». Il fixe la banderille, la prend entre ses dents, en mastique le bout sans quitter le torero du regard. Chacon : « j’ai senti un frisson terrible dans tout mon corps. J’ai pensé s’il fait ça à une banderille qu’est-ce qu’il ne fera pas avec moi s’il m’accroche. Jamais je n’ai eu aussi peur. »
A force d’envisager leur futur immédiat en dévisageant les toros, les toreros en deviennent comme extralucides. Antonete à propos des yeux des toros : « si je vois dedans une étincelle, ça signifie qu’il y a en eux un volcan. Et celui qui a un volcan, il finit par éclater. »
Texte de Jacques Durand.
Panolero
Peluquero, Enamorado, Perlita, Fandanguero, Cascabel, Farolero, Solitario, Estudiante, Desertor, Bailador, beaucoup de toros restés dans l’histoire de la corrida pour avoir tué des toreros portent une sorte d’innocence ou d’ingénuité dans leur nom. Ils étaient coiffeurs, ils étaient amoureux, ils chantaient des fandangos. Ils étaient fanfarons ou solitaires, étudiants, déserteurs et ils dansaient. Ou encore ils étaient une perlita, une vraie petite perle.
A Madrid, en 1840, la petite perle massacrera le banderillero Francisco Azucena alias « le mignon de Séville ». Lys tranché. Ainsi, dans la canicule de Villanueva de Los Infantes il était difficile d’imaginer que c’était le glas de José Mata qui sonnait dans le toro « Grelot ».
El Jaranero « Chahuteur », novillo de Concha y Sierra a, en août 1946 à San Roque, poussé la plaisanterie un peu loin en envoyant Eduardo Liceaga dans la tombe. Sale blague.
A l’inverse, Optimista n’avait aucune raison de s’en faire. Il sera gracié le 20 janvier 1992 à Léon, Mexique, tout comme Vida un toro de Begona qui a sauvé la sienne de vida en 2001.
Reste que le miura qui a détruit Nimeno II dans les arènes d’Arles cachait le malheur au fond des plis de son nom : Panolero. Marchand de mouchoirs. On saura le 10 septembre 89 que c’étaient des mouchoirs pour y pleurer dedans.
El « Nimeño II » reste encore aujourd’hui la principale figura de la tauromachie française.
En 2018, exposition dans l'église des Frères Prêcheurs à Arles: