Moi, Lucette, 82 ans, assassinée par Henri, 93 ans…

Publié le par bmasson-blogpolitique

~~Moi, Lucette, 82 ans, assassinée par Henri, 93 ans… Je suis son fantôme. C’est par ma voix que vous pourrez suivre l’histoire dramatique de Lucette. Elle n’est plus, elle ne peut plus parler, ni raconter sa propre vie, ni respirer, ni aimer, ni créer.

 

Son âme désespérée a erré dans les tourments incertains pendant de longs jours. Elle souffrait de l’injustice de son propre sort, de la violence subie, de cette fin quelle n’avait pas prévue, du regret de ne plus vivre. A quoi pourrait-elle se raccrocher pour donner un sens à toute cette éternité ? A qui pourrait-elle hurler sa colère ? Devrait-elle se taire éternellement et subir une seconde injustice encore plus terrible qui se nomme l’oubli ?

C’est à ce moment crucial de son histoire que je suis intervenu. Son désespoir m’a ému et nos deux âmes se sont rencontrées. J’ai eu de la peine et j’ai accepté d’endosser son tourment pour la soulager et j’avais envie de revenir dans ce bas monde, vous savez la France du bas, pour titiller ces humains pressés de l’oublier, continuant leur vie sans se sentir concernés par sa mort. Le premier homme que je suis allé voir pendant son sommeil était Henri. La curiosité a été la plus forte. Il n’était pas difficile de le retrouver. Après son crime, il a été enfermé dans la Maison d’Arrêt de P… Il ronflait. Prenait-il des somnifères pour s’endormir ? A quatre-vingt-treize ans, c’était fort possible. Je vérifierai ce détail lors de ma prochaine visite que j’effectuerai en fin d’après-midi.

Moi, Lucette, 82 ans, assassinée par Henri, 93 ans…

L’âge d’Henri vous pose un problème ? A ce jour, il est le plus vieux criminel en attente de son jugement en France. Il ne voulait pas terminer sa vie dans la sérénité et dans l’anonymat. Il lui fallait un coup d’éclat. Tout à coup, il devait se distinguer de la masse de ces vieux Français qui attendent dans l’anti-chambre de la mort. Et puis, lui, Henri ne se sentait pas au crépuscule de sa vie. Il imaginait encore devant lui de nombreuses et longues années. Il ne voulait renoncer à rien, et encore moins à l’amour. Son histoire était d’une simplicité et d’une fluidité confondantes. Son nom de famille ? Vous voulez le connaître ? Vous commencez à vous intéresser à lui ? Il s’appelait « Monsieur tout le monde ». Oui, c’était Henri Monsieur Tout le Monde. Chaque homme peut se reconnaître dans sa singularité. Henri n’est pas à part, n’est pas un être d’exception, n’est ni un fou, ni un vieux sénile. De seize à quatre-vingt-dix-neuf ans, comme pour les lecteurs de Tintin, chaque représentant de la gente masculine a déposé en lui une partie infime de sa vie, de ses espoirs et de ses déceptions. Est-ce que les femmes l’ont déçu ? Peut-être, pour en arriver à ce geste ultime et irréversible. Le voilà maintenant confronté à la justice des hommes, mais entre « hommes », on se comprend. Et on se pardonne. Son crime sera donc passionnel. C’est moins criminel. Et Lucette en portera aussi une grosse part de responsabilité. Elle est la victime, mais elle a poussé cet homme à bout pour qu’il termine sa vie dans une geôle. Enfin, c’est ce que les hommes pensent. La prochaine fois que je reviendrai sur terre, j’interviewerai une femme pour savoir ce qu’elle va dire sur ce sujet… Vu son âge, Henri n’écopera pas d’une peine trop lourde. Toute sa vie, il a profité des bienfaits des femmes.

La première a été sa mère. Qu’est-ce qu’elle l’avait chouchouté ! Un vrai coq en pâte ! Le moindre de ses désirs était satisfait, devancé, réalisé, sublimé. Après ce régime exceptionnel de faveurs, les femmes devraient faire d’énormes efforts pour lui arriver à la cheville. Lui ne se plaignait pas. Tout lui était dû. Et de préférence sans se poser de questions. Un roi se demande-t-il pourquoi il est roi ? Non. Il est intimement convaincu d’être à la bonne place. Il n’a pas besoin de se justifier.

 

Les autres l’envient ? C’est normal. Leur triste vie n’atteindra jamais la perfection et la réussite de la sienne. Henri demandera à sa femme d’être loyale, dévouée, obéissante et disponible. Très peu de choses en fait…Il savait qu’il devait baisser ses prétentions s’il ne voulait pas être déçu. Elle n’atteindrait jamais le niveau de dévotion de sa mère. Il avait placé cet archange de l’amour dans la case « unique ». Il ne voulait pas être trop exigeant pour la suite de sa vie. Par chance, sa femme Elizabeth avait donné plus que ce qu’il avait espéré… Quel bonheur ! Décidément, les femmes sont très généreuses. Il ne leur demandait pas quel sacrifice elles avaient fait pour lui préparer l’Eden sur terre. Il s’en moquait. Elles devaient être heureuses de le servir et de le voir heureux. Le bonheur se partage, le dévouement, non. En le côtoyant, elles étaient inoculées par ses qualités. C’est meilleur que les microbes. C’est plus positif. Leur propre destin était illuminé par les aurores boréales et les feux d’artifices qu’il fabriquait. Il leur apportait la lumière ! Quel sens des responsabilités il devait avoir pour ces femmes. Il se sentait investi d’une mission divine : réussir sa vie. Et la leur par ricochet…

Malheureusement, Elizabeth eut un cancer du sein. Elle se battit comme une forcenée, en menant de front la satisfaction des besoins de son mari et la lutte contre la maladie. Hélas, le cancer fut le gagnant et Henri se retrouva veuf… Triste sort, mais momentané. Les années avaient défilé à une vive allure et il ne s’était pas vu vieillir. Mais il avait confiance en sa bonne étoile. Elle l’avait protégé tout au long de sa vie et Henri ne s’inquiétait pas du tout pour son avenir. La satisfaction était de ce monde et sa chance n’allait pas le quitter…

 

Il attendit patiemment une année de veuvage pour reprendre part à la vie sociale qui lui permettrait de rencontrer une nouvelle âme sœur, une jolie servante de ses besoins, une femme sensible, aimante, chaleureuse et servile. Il avait le pouvoir de les détecter. Elles aimaient son visage humble et soumis. Il savait les appâter, les attirer, les retenir, les subjuguer, les distraire et les occuper. Cette fois-ci, les choses se détraquèrent. Il avait vécu insouciant et le cœur léger. Il n’avait pas vu que les femmes avaient changé. Il n’imaginait pas qu’il y ait eu un changement de mentalités et de pratiques relationnelles. Il continuait de faire des avances qui avaient si bien marché quelques décennies en amont. Les femmes le regardaient comme s’il venait d’une autre planète ou d’un autre siècle. Peut-être du XVIIe siècle ? Il ne portait pas de perruque poudrée, pas de dentelles et pas de veste en coton épais. Il était courtois, coquin, subtil. Et ça ne marchait pas, ça ne marchait plus… Il ne rencontra pas Lucette aussitôt. Elle était l’amie d’une amie, Carole. Il aimait beaucoup Carole. Elle était encore svelte pour son âge, coquette et légèrement sexy. Une pointe d’humour et d’autodérision achevaient de la parer d’atours affriolants. Son âge l’avantageait. Il souhaitait de la jeunesse dans sa vie et elle avait vingt-cinq ans de moins que lui. Elle représentait la gaieté, la joie, l’éternité de la vie. Il était encore vigoureux, et rien ne lui faisait peur. Il fréquenta Carole assidûment tous les samedis. Ils s’invitaient l’un l’autre. Chez soi, au restaurant. Puis, ils fêtèrent ensemble les anniversaires, les fêtes de fin d’année, l’achat d’une voiture…Puis, ils invitèrent des amis et des amies et c’est ainsi qu’il rencontra Lucette. C’était elle ! Il l’attendait depuis le décès d’Elizabeth. Menue, plus petite que lui, de onze ans sa cadette, célibataire sans enfant, sans entraves, elle vivra uniquement pour lui !

Mais Lucette ne partageait pas son enthousiasme. Une vie à deux ? Une vie avec Henri ? Ce n’était pas son envie et son ambition pour les futures années à venir. Indépendante, elle avait toujours géré sa vie d’une main de maître (elle était artiste peintre). Elle défendait son libre arbitre et n’avait pas envie d’endosser le rôle de soubrette pour un homme qu’elle avait rencontré chez son amie Carole. Henri commença à fantasmer sur elle. Il voulait la rencontrer coûte que coûte. Il ne pouvait plus vivre sans elle. Il ne respirait plus entre deux rendez-vous. Elle occupait toutes ses pensées. Elle était obsédante et devint son obsession. Il la guettait, l’attendait, provoquait les rencontres fortuites.

 

Si elle fut flattée au départ, son entêtement l’irrita par la suite. Il devenait lourd, pour ne pas dire « lourdeau ». Mais il ne se déclarait pas ouvertement et elle espéra qu’il se découragerait et se lasserait. Il n’en fut rien. Plus elle le fuyait, plus il s’en amouracha. Il ne comprenait pas qu’elle ne lui saute pas au cou. Alors, il devint jaloux. Elle devait avoir un autre amoureux. Sa chasse à femme s’amplifia. Il harcela Carole. Elle ne lui connaissait aucun amoureux. Elle n’aimait personne d’autre ? Elle n’aimait qu’elle ? Il eut la haine et la rage. A quoi bon être coquette, créer des œuvres, avoir des amis si ce n’était pas pour tout partager avec lui ? Il avait une bonne position sociale. Financièrement, il vivait confortablement. Quel obstacle se dressait entre elle et lui ? Il y perdait son latin en conjonctures de toutes sortes. Il en perdit aussi le sommeil et l’appétit. Il commença à ruminer une vengeance. Il fomenta des plans d’attaques, d’humiliations, de dégradations. Elle ne l’aimait pas ? Elle ne sera plus jamais aimée à son tour. Il ne pensait pas à l’éradiquer de la Terre, quoique que…

Et un soir, fou de douleur, il alla frapper à sa porte. Il lui demanda de vivre avec lui. Elle le toisa et éclata d’un rire cristallin. Bafoué, humilié, battu en brèche, il ne la voyait plus qu’en un monstre d’égoïsme. Il vit rouge. Il ne se contrôla plus. Sa rage se déversa. Son énergie décupla. Cette femme le provoquait. Il saisit un couteau qui traînait sur la table. Il la frappa de cinquante-trois coups. Sans bruit. Epuisé par ce terrible effort, il s’effondra à côté d’elle. C’est Carole qui les découvrit… Je pense aussi faire un petit tour, à ma prochaine visite sur Terre, dans les bureaux des experts psychiatriques. J’aimerais savoir s’ils lui ont trouvé des circonstances atténuantes. Pourquoi pas ?

A 84 ans, il est poursuivi pour harcèlement sexuel.

Ce veuf avait entretenu une liaison avec cette femme pendant plusieurs années, mais quand elle a décidé d'y mettre fin, il s'est mis à l'attendre devant chez elle et à la suivre, au point qu'elle se réfugiait souvent chez ses enfants.

NDLR : après le plus vieux condamné pour avoir tué une femme (93 ans), un condisciple de 74 ans. On n’est à l’abri de personne…Ce n’est pas un fait divers, c’est un féminicide.

Vallauris : un homme de 74 ans tue sa femme de plusieurs coups de couteau.

Un septuagénaire a tué samedi son épouse, âgée de 78 ans, de plusieurs coups de couteau après une dispute à leur domicile de Vallauris, dans les Alpes-Maritimes.

Publié dans mes poésies

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